La direction de l'innovation m'a tué !

J’ai récemment eu l’occasion d’échanger avec une équipe en charge de l’innovation au sein d’une grande institution financière. C’est un leader mondial sur son marché, et les collaborateurs sont fiers de son empreinte globale et de ses accomplissements. Et pour cause, la boutique tourne bien.

Des signaux faibles de plus en plus forts
En même temps, le management commence petit à petit à s’agiter sur des questions d’innovation et de renouvellement stratégique. Les dirigeants sont les premiers à observer par leur activité sur l’ensemble des marchés qu’on est entré dans une période de fortes turbulences. Il y a de nombreuses industries dans lesquelles l’ordre établi se fait bousculer par des nouveaux entrants, souvent nés du numérique, qui ne jouent plus selon les mêmes règles.
Dans des industries historiquement à forte intensité capitalistique, ces nouveaux entrants se contentent désormais de développer des propositions nouvelles leur permettant d’intermédier ou de désintermédier les mammouths en place, avec des approches dites ‘asset light’ ou de plateformisation.
Tous les jours, on parle d’un nouveau secteur qui paie les frais soit de sa transformation digitale engagée trop tard ou trop timidement, soit des opportunités exploitées par des nouveaux acteurs plus agiles. De surcroit, ces nouveaux acteurs ne se contentent plus de trouver une niche et de rester dans cette niche une fois trouvé un modèle à peu près profitable. Non, la plupart des acteurs cherchent un développement global, une croissance exponentielle (souvent à hauteur de 5–10% la semaine, pas à l’année!!!), et ainsi à remettre en cause de manière profonde l’équilibre des forces en place.
Maintenant qu’une petite poignée d’entreprises a accumulé une puissance énorme (la valorisation des GAFAM pèse environ le PIB de UK), on entend souvent un discours assez fataliste derrière les portes fermées des bureaux des grands patrons de ces entreprises établies : « de toute façon, si Google (Amazon, Microsoft ou autre) veut intégrer notre système de création de valeur, on ne pourra rien y faire, ils ont des moyens financiers illimités et une puissance de calcul et de gestion des données énormes ».
Face à ces menaces, tout le monde s’accorde sur les mesures à prendre : il faut innover. L’innovation, comme le dit Gary Hamel, est la seule assurance pertinente pour garantir sa survie à long terme. Donc, il faut investir dans l’innovation, il faut la sortir des centres de recherche qui prennent trop longtemps pour développer des technologies et des solutions, et il faut que l’innovation devienne l’affaire de tous.

De la bonne volonté …
Le monde idéal de l’innovation se conçoit souvent en deux étapes.
On essaye d’abord de monter des équipes d’innovation, avec de belles nouvelles méthodologies, très agiles, qui produisent 100 idées à la minute mais qui sont souvent complètement déconnectés des centres de pouvoir dans l’organisation, méprisées par les patrons des BU qui font tourner la boutique tous les jours.
On donne ensuite des missions d’innovation à toutes les directions du Marketing, aux SI, au Digital, à la stratégie, et bien d’autres encore. On monte des labs, des incubateurs internes, des accélérateurs, on fait de l’open innovation, on travaille en intelligence collective, on réinvente les fonctionnements internes. Et surtout, on communique à tour de bras à l’extérieur sur ces belles initiatives très funky. Bref, on monte le théâtre de l’innovation.
Enfin, il serait de bon ton de s’entourer de consultants innovants et de sortir des ‘Men in Black’ avec leurs beaux tableaux de pilotage, leurs diagnostics, leurs plans d’actions bien suivis.
On a entendu parler des designers, des démarches de co-construction, du design thinking bien sûr. Alors on se fait recommander quelques boîtes qui ont marqué les esprits, ou du moins dont les propositions ont retenu l’intérêt de nos collègues, même s’ils n’ont pas encore sauté le pas et osé remplacer les Big 5 ou Fat 4. Mais on les invite à échanger avec l’équipe, pour s’inspirer, pour tenter de s’auto convaincre, souvent sans succès.

… aux injonctions paradoxales

Et puis, vient le moment des doutes. On commence alors à poser des questions à ces consultants qui vont les tester, mais qui vont surtout nous rassurer nous-mêmes.
Parmi ces questions, voici mes trois favorites :
Avez-vous déjà travaillé sur ce même sujet pour d’autres acteurs de l’industrie financière ?
Qu’est-ce que vous pouvez nous proposer concrètement ? Etes-vous capables de nous dire en 2 minutes ce que vous pouvez concrètement faire pour nous (sauf qu’il n’y a pas de brief, pas de projet, pas de problématique exposée) ?
Nous avons tous la volonté d’innover, mais au quotidien, les gens retombent dans leur quotidien et les projets sont dé-priorisés ; en quoi votre approche permet de surmonter ce phénomène ?
Les deux premières questions sont révélatrices d’une posture d’innovation pas encore incarnée ni assumée.
Comment peut-on oser exiger de l’innovation de rupture quand on a déjà peur de collaborer avec des gens pas encore connus par l’institution ? Un regard neuf est crucial et indispensable pour inventer de solutions neuves. Sinon, pourquoi tant de grands groupes ont du mal à innover ? L’innovation de rupture sans risque n’existe pas.

L’innovation ne tombe pas du ciel
Même dans un milieu où le temps c’est de l’argent, l’acquisition d’expertise de façon très transactionnelle ne fonctionne plus. La valeur ne peut plus être créée par le prestataire externe seul, mais dans l’intégration des compétences multiples entre les équipes internes et externes.
Ce type de question est par ailleurs très révélateur de la culture managériale et d’innovation de beaucoup d’entreprises établies : ‘Je suis là pour prendre des décisions, apportez-moi des dossiers bien synthétiques et bien ficelés, prêt à employer’. Heureusement, le rôle des dirigeants et managers a changé, on leur demande désormais de participer à la réflexion, de co-construire, de coacher, d’écouter tout en ayant des convictions et une vision forte.
La réponse à la troisième question est assez simple. C’est que vous n’avez pas su créer des conditions favorables à l’innovation, que vous n’avez pas suffisamment travaillé le sens et la vision stratégique, que vous n’avez pas aligné vos équipes sur cette vision commune avec des priorités d’innovation comprises et partagées, que tout le système est fait pour motiver les gens à mieux exploiter l’existant. Ce n’est pas forcément facile, mais c’est le chemin, plus long et plus incertain, vers une innovation plus positive avec un triple impact : sur les collaborateurs en interne, sur les clients externes, et in fine sur la société ?
Il est encore très rare de voir promu un collaborateur malgré un échec dans un projet important juste parce qu’il a osé faire différemment, à suivre son intuition, à poursuivre une opportunité incertaine ? On trouve plutôt sur les listes de promotions les vendeurs star, les rainmakers, les rois de l’efficacité. La raison pour cela est souvent très simple, les systèmes d’incitation ne sont pas alignés avec les belles paroles de support de l’innovation.

A chacun de prendre son destin en main
 

Construire une nouvelle stratégie et un état d’esprit d’innovation durable ne peut pas passer uniquement par le recours à de nouvelles structures d’innovation et des cabinets extérieurs sans intégrer les femmes et les hommes qui la construisent au jour le jour.
L’innovation ne tombe pas du ciel et les consultants ne sauront jamais vous apporter des solutions magiques pour régler vos plus grands problèmes sans l’aide de des collaborateurs.
Pour finir, une analogie avec la dure loi des régimes :
Chercher une solution à ces questions uniquement chez un prestataire externe c’est un peu comme demander à son coach sportif de perdre 20 kilos : il peut vous donner le bon programme d’entraînement pour y arriver, mais au quotidien c’est vous et vous seul qui allez y arriver en mettant en œuvre ce programme, avec beaucoup de sueur, d’incertitude et d’humilité, mais avec votre poids de rêve en récompense. C’est le prix à payer pour une innovation plus durable, et également moins coûteuse.

On en parle de votre programme d’entraînement sur mesure ?